Mois de l'histoire des Noirs - Pleins feux sur Jean-Sibert Lapolice

Jean-Sibert Lapolice

L'ACEP s'est entretenue avec un de ses membres, Jean-Sibert Lapolice, qui est aussi responsable de l'engagement stratégique et des partenariats au Caucus des employés fédéraux noirs (CEFN), pour souligner le Mois de l'histoire des Noirs et le travail du CEFN.

ACEP: Le Caucus des employés fédéraux noirs (CEFN) a pour mission de soutenir les efforts déployés aux échelons national, régional et local pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les employés noirs de la fonction publique fédérale. 

Pouvez-vous nous parler de votre rôle au sein du CEFN et de ce qui vous a poussé à y contribuer activement?

En fait, je vois mon rôle comme celui de facilitateur, de canalisateur et d’agent de liaison. Nous avons des dizaines et même des centaines d’agents de changement et d’alliés qui font le travail tous les jours dans leur unité de travail, leurs directions générales et au sein de leur organisation respective. C’est le cas par exemple des réseaux d’employés noirs dans les ministères, des collègues dans les régions, des sous-ministres et d’autres alliés qui appuient la cause des employés noirs. En ce qui concerne mon implication directe dans la conversation sur le racisme en milieu de travail, je dirais que la mort gratuite et brutale de George Floyd a été la bougie d’allumage. Comme beaucoup d’êtres humains à travers le monde, j’étais profondément troublé par ce qui est arrivé à George Floyd. Cette tragédie est arrivée au moment où beaucoup d’employés noirs souffraient dans la fonction publique. On comprenait tout le sens de : « I can’t breath » à ce moment-là. Je ne pouvais pas rester indifférent, et le CEFN m’a offert la possibilité de passer à travers cette période difficile émotivement. 


ACEP: Il y a exactement un an, vous avez commencé à occuper votre poste actuel au CEFN.

Quelles ont été les principales difficultés portées à votre attention par les employés noirs de la fonction publique et comment le CEFN tente-t-il de les résoudre?

Je suis arrivé au moment du lancement de l’Appel à l’action du Greffier du Conseil privé. La demande pour des conversations sur la discrimination, le racisme, la diversité, l’équité était très élevée. Cependant, il y avait un constat : le système ne savait pas comment répondre à la pression de l’environnement, suite à la mort de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter. Les employés noirs victimes de toutes sortes d’injustices commençaient à s’exprimer et partager publiquement leurs expériences. Nous avons reçu beaucoup d’appels en lien avec le régime de gestion du rendement et talent. C’est toujours un grand souci pour beaucoup d’employés noirs; notamment le harcèlement et le manque de soutien des syndicats. Très souvent c’était des gens qui se sentaient abandonnés par leurs syndicats et qui ne savaient plus quoi faire. J’ai été surpris de l’ampleur de la situation.  


ACEP: Cette année, le Mois de l’histoire des Noirs a pour thème « En février et en tout temps : Célébrons l’histoire des communautés noires aujourd’hui et tous les jours ».

Que pensez-vous de ce thème et comment vous sentez-vous interpellé par celui-ci?

Je trouve ce thème intéressant! En effet, l’histoire des communautés noires n’est pas quelque chose qu’on peut ou devrait célébrer pendant seulement un mois. On devrait célébrer tous les jours. Le grand défi est comment célébrer autant d’histoires si différentes et si diverses au sein des communautés noires? Il y a l’histoire de ceux qui sont arrivés il y a très longtemps et dans un contexte totalement différents de ceux qui sont arrivés récemment et qui arriveront comme étudiants, réfugiés, entrepreneurs, travailleurs qualifiés, etc. L’histoire de la communauté haïtienne, peut-être différente de celle des communautés congolaises, sénégalaises, éthiopiennes, somaliennes, etc. L’histoire des communautés noires c’est aussi l’histoire des femmes, des personnes handicapées, des gens qui réussissent bien, et d’autres qui n’arrivent pas à trouver une place au soleil canadien. C’est beaucoup plus complexe et sophistiqué qu’on le pense!


ACEP: Selon vous, quel rôle les syndicats de la fonction publique fédérale comme l’ACEP jouent-ils dans la lutte contre la discrimination raciale en milieu de travail?

Je crois qu’il y a une attente de la part des membres. Les membres s’attendent à ce que les syndicats jouent un rôle de leadership dans la lutte contre toute forme de discrimination dans la fonction publique. Je crois que les syndicats doivent donner l’exemple en créant des environnements de travail sains et sécuritaires pour leurs propres employés. J’étais troublé et déçu d’apprendre que la discrimination anti-noire était aussi l’affaire de certains syndicats. J’espère que ce n’est pas le cas pour l’ACEP.


ACEP: Le premier ministre a reconnu que le « le racisme systémique est un problème partout au pays, dans toutes nos institutions […] », y compris la fonction publique fédérale. 

À votre avis, que faut-il faire pour s’attaquer au racisme systémique dans la fonction publique fédérale? 

Tout d’abord, il faut reconnaître l’existence du problème. C’est un pas majeur dans la bonne direction. Si on reconnaît et accepte qu’il existe un problème, la prochaine étape c’est d’essayer de trouver des solutions pour s’y attaquer. La bonne nouvelle est qu’il semble y avoir, tant au niveau politique que bureaucratique, un consensus et une reconnaissance de l’existence du racisme systémique et du racisme anti-noir. Maintenant, la prochaine étape c’est de travailler ensemble pour trouver des solutions à ce phénomène. S’attaquer au racisme systémique et l’éradiquer, c’est l’affaire de tous. Je suis encouragé par les nombreux engagements exprimés dans les lettres de mandats de certains ministres concernant la lutte contre le racisme ainsi que les différentes initiatives en cours dans plusieurs institutions fédérales. 

ACEP: Selon sa lettre de mandat publiée le 16 décembre 2021, la présidente du Conseil du Trésor doit « Établir un fonds pour la santé mentale destiné aux fonctionnaires noirs, et appuyer les possibilités d’avancement professionnel, de formation, de parrainage et d’éducation des Noirs ». 

Que pensez-vous de l’accent mis sur ces questions importantes et quel rôle, le cas échéant, voyez-vous le CEFN jouer dans l’avancement de ces mesures?

Le CFNE est encouragé de ces engagements et initiatives gouvernementales tangibles. Il était grand temps que cela se fasse. C’est dommage que les communautés incluant les employés noirs doivent tout le temps faire des pressions pour pousser la machine à bouger. Comme à l’habitude, le CEFN est disposé et disponible pour accompagner (à titre consultatif) les instituions dans le développement et la mise en œuvre de ces initiatives.


ACEP:  Il y a un peu plus d’un an (le 22 janvier 2021), le greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet a publié un Appel à l’action en faveur de la lutte contre le racisme, de l’équité et de l’inclusion dans la fonction publique fédérale. « Ce document invite les dirigeants de la fonction publique à prendre des mesures concrètes qui sous-tendront un changement systémique. Le message est clair : il est temps d’agir en faveur de la lutte contre le racisme, de l’équité et de l’inclusion dans la fonction publique fédérale. »

À votre connaissance, existe-t-il des changements, mis en œuvre ou en voie de l’être, à la suite de l’appel à l’action?

À mon avis, l’Appel à l’action du Greffier du Conseil privé constitue un tournant historique dans la fonction publique fédérale. En effet, c’est un document clair, accessible et direct. Je doute que quelqu’un(e) de bonne volonté puisse dire: « je ne comprends pas ce que le Greffier veut que je fasse ». D’un point de vue d’activiste, on pourrait dire qu’il n’y a pas de progrès et que lorsqu’il s’agit des employés noirs ou autochtones, le système ne va pas vite. On cherche des excuses pour ne pas passer à l’action. Cependant, d’un point de vue pragmatique, je peux dire qu'on observe quelques changements positifs. Au cours de la dernière année, nous avons observé une envie d’écouter et d’apprendre sur les expériences difficiles des employés noirs et en général sur la discrimination systémique. Les employés noirs se regroupent en réseau pour mieux se défendre et faire entendre leurs voix. Certains ministères ont mis en place un secrétariat antiracisme. Nous avons observé une plus grande présence d’employés noirs au niveau de la haute gestion. Je dirais que l’Appel à l’action du Greffier donne une sorte d’élan (momentum) qui, je l’espère, continuera pendant longtemps.

ACEP: Quels changements espérez-vous voir grâce à cet appel à l’action à l’égard des employés fédéraux noirs et de quelle façon le CEFN intervient-il pour s’assurer qu’ils sont apportés?

Nous sommes conscients que le changement prend du temps. Surtout lorsqu’on parle de changement de culture organisationnelle. Cependant, nous espérons qu’il y aura des changements systémiques et transformationnels en ce qui concerne le bien-être des employés et plus particulièrement des employés noirs qui ont dû faire face à des expériences troublantes pendant tant d’années. Nous espérons qu’il y aura des progrès en matière de progression de carrière pour les employés noirs partout au pays, et surtout dans les régions. Nous espérons que dans quelques années nous n’aurons plus besoins de la présence de réseaux comme CEFN pour soulever des préoccupations relatives à la discrimination parce que l’environnement de travail sera moderne et exempt de toute forme de barrières. En ce qui concerne l’implication de CEFN dans la mise en œuvre de l’Appel à l’action du Greffier du Conseil privé, nous allons continuer à travailler avec les intervenants clés, incluant les agences centrales, pour nous assurer qu’il y ait des progrès tangibles et mesurables. C’est ce qu’on fait déjà sur une base continue avec le Bureau du Conseil privé. Nous apprécions cette collaboration unique qui nous permet d’influencer le processus de prise de décision. 

Je reconnais que c’est un privilège de faire partie de la fonction publique et de pouvoir servir les Canadiens. Des milliers de Canadiens rêvent d’être à notre place. C’est pour cela que j’encourage tout un chacun à valoriser ce privilège et à rester fier (fière) comme fonctionnaire, peu importe leur classification ou leur niveau.

Nous remercions Jean-Sibert, d'avoir pris le temps de nous rencontrer ce mois-ci. Nous espérons que tous nos membres en ont appris davantage sur vous et sur le CEFN, ainsi que sur le travail que vous faites pour faire avancer les dossiers et résoudre les problèmes qui touchent les employés noirs de la fonction publique fédérale, et qu'ils sont se sentent encouragés à devenir des alliés dans la lutte contre le racisme.