L’efficience et l’automatisation sont importantes, mais c’est dans l’expertise de son personnel que réside la véritable force de l’État, celui qui assure la prestation des programmes essentiels à la population.
FAITS ET CHIFFRES
- 16 000 emplois supprimés en 2025 (par attrition et départs volontaires, avec protection des pensions)
- 40 000 emplois supprimés d’ici 2028-2029
- 1 000 postes de gestion abolis d’ici deux ans (une mesure vivement réclamée par l’ACEP)
- 20 % de réduction des budgets alloués aux consultants sur trois ans (une mesure réclamée par l’ACEP, mais jugée insuffisante)
- 280 milliards de dollars en investissements (les grands projets exigent des effectifs compétents pour les réaliser) :
- 115 milliards de dollars dans l’infrastructure
- 30 milliards de dollars dans la défense
- 25 milliards de dollars dans la construction de logements
- 110 milliards de dollars dans la productivité et l’efficacité
SOMMAIRE
Intitulé Un Canada fort, le budget constitue un tournant décisif pour la fonction publique fédérale. S’il se veut un plan d’investissement générationnel, de discipline budgétaire et de modernisation, ses conséquences pour les fonctionnaires sont lourdes. Il annonce un virage vers un gouvernement réduit et plus automatisé, animé par des coupes dans les effectifs et une transformation technologique.
>> Réaménagement des effectifs et pertes d’emplois
L’examen exhaustif des dépenses atteste de la réduction substantielle des effectifs fédéraux. Le gouvernement prévoit supprimer 40 000 postes dans les prochaines années par le biais de départs à la retraite, d’attrition et d’autres formes de séparation. Des mesures de réaménagement des effectifs s’appliqueront, accompagnées de dispenses de pénalité pour retraite anticipée. Il s’agit de la plus importante réduction des effectifs de la fonction publique depuis les années 1990.
Bien que qualifiée d’« optimisation de la taille des effectifs », cette réduction risque d’entraîner une perte d’expertise, de capacité opérationnelle et de mémoire institutionnelle. Si le budget indique que le gouvernement a utilisé l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) pour guider ses compressions, les syndicats devront surveiller de près son application sur le terrain. Le budget confirme aussi la suppression de 1 000 postes de gestion d’ici deux ans. Même si les effectifs de gestionnaires diminuent, les employé·es de première ligne et de soutien voient leur avenir s’assombrir à cause de l’expansion de l’automatisation et de l’intelligence artificielle.
Le gouvernement promet un « atterrissage en douceur » pour celles et ceux qui souhaitent prendre une retraite anticipée grâce à la dispense de pénalité pour retraite anticipée, financée à même la Caisse de retraite de la fonction publique.
>>Intelligence artificielle et virage numérique
L’intelligence artificielle est un thème central du Budget 2025. Le gouvernement entend la déployer « à grande échelle » pour améliorer la productivité et réduire les coûts, notamment grâce à des « outils souverains d’IA de conception canadienne ». Un nouveau Bureau de la transformation numérique en assurera la supervision. Si l’initiative vise à moderniser les services, elle reste floue sur le recyclage professionnel, la gouvernance ou la reddition de comptes.
Pour les syndicats, ce recours accru à l’IA soulève des questions quant à la sécurité d’emploi, à la transparence et à une éventuelle privatisation des fonctions numériques. Ils devront veiller à ce que ces nouvelles technologies soutiennent le personnel au lieu de le remplacer, et à ce que leur usage soit conforme aux normes éthiques et aux conventions collectives.
>>Négociation collective et droits des travailleuses et travailleurs
Le budget intervient alors que s’amorce une nouvelle ronde de négociations collectives. Il réaffirme l’engagement du gouvernement à conclure des « ententes équitables et raisonnables » et à « respecter le droit d’association, le droit à la négociation collective et le droit de participer à des mesures syndicales légales ». Cependant, des modifications envisagées à la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral feront « concorder la rémunération dans le secteur public avec la situation financière du gouvernement ».
Ce libellé laisse craindre un cadre de négociation sous contrainte, où la rigueur budgétaire primerait sur la recherche d’une rémunération équitable. Les syndicats devront défendre l’idée que la négociation collective doit rester un véritable dialogue entre parties égales, sans limite financière préétablie.
>>Priorités budgétaires et prestation de services
Quelques mesures, bien que limitées, vont dans le bon sens. Le gouvernement réduira de 20 % ses dépenses en consultants et en services de gestion sur trois ans, afin de confier davantage de mandats à la fonction publique. Il s’engage aussi à réduire les espaces de bureaux dans certains ministères, accorde un financement d’un an pour l’équité salariale proactive et instaure une retraite anticipée après 25 ans de service pour plus de personnel de première ligne. Ces avancées, bien que partielles, répondent à des demandes syndicales anciennes, mais leur portée réelle dépendra de la réaffectation des économies réalisées.
>> Omissions notables
Plusieurs dossiers cruciaux pour nos membres sont quasiment ignorés. Le budget ne mentionne ni le Bureau de la traduction, ni les interprètes, ni le groupe TR, et reste muet sur les langues officielles. Les groupes méritant l’équité ne reçoivent qu’une attention minimale, avec un financement limité accordé au ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.
Le document ne prévoit également aucune mesure concernant le système de paye Phénix ni aucune compensation pour les préjudices subis. On n’y trouve qu’un simple poste budgétaire pour la modernisation du système de paye jusqu’en 2026-2027, lié à la transition vers Dayforce. Cette absence de prise de responsabilité demeure une source de frustration pour les personnes victimes des problèmes de paye persistants.
>> Conclusion
Le Budget 2025 dépeint une vision de la modernisation fondée sur l’efficience, l’automatisation et la contrainte budgétaire. Pour les fonctionnaires, il présente autant d’opportunités que de risques. Certains investissements pourraient bien améliorer les systèmes et limiter le recours à la sous-traitance, mais l’insistance sur la réduction des effectifs et les gains en efficacité par l’IA pourrait nuire aux capacités du gouvernement, au moral du personnel et à la qualité des services offerts.
Le défi des syndicats consistera à faire en sorte que cette modernisation renforce la fonction publique plutôt que de l’affaiblir, en préservant à la fois les droits des travailleuses et travailleurs et l’intégrité des programmes publics. Car la véritable force de l’État ne se trouve pas dans la technologie, mais dans les personnes qui servent les Canadiennes et les Canadiens au quotidien.