Les coupes dans la fonction publique mettent à mal les engagements du gouvernement fédéral

Ce texte a été publié en anglais dans Perspectives Journal. En voici la traduction.

Par Nathan Prier, président de l’Association canadienne des employés professionnels, et Clement Nocos, directeur des politiques et de l’engagement à l’Institut Broadbent

Le premier ministre Mark Carney est sur le point de rompre une promesse électorale faite il y a à peine quelques mois – une décision qui fera du tort aux Canadiennes et aux Canadiens en pleine guerre commerciale menée par Donald Trump. Dans sa plateforme électorale publiée en avril, le Parti libéral s’engageait clairement à « plafonner, et non à réduire, les effectifs de la fonction publique ». Or, dans son tout premier budget, le gouvernement Carney s’apprête à sabrer dans la fonction publique à un rythme jamais vu depuis des décennies – au moment même où il devrait plutôt renforcer ses effectifs pour faire face à la crise économique en cours. 

Pour les fonctionnaires du Canada, ce scénario n’a rien de nouveau. Le personnel du gouvernement sert souvent de bouc émissaire pour expliquer les excès de dépenses gouvernementales ou de monnaie d’échange pour rassurer les tenants de l’austérité. Les libéraux de Justin Trudeau ont, eux aussi, imposé des compressions arbitraires afin de regagner la faveur populaire au gré des sondages, tout en confiant des services à des entreprises privées trop coûteuses et souvent incapables de livrer la marchandise. 

Avant Trudeau, le gouvernement majoritaire de Stephen Harper n’avait pas hésité à mettre en œuvre sa promesse de supprimer 19200 postes au sein du secteur public. La croissance de la fonction publique observée au cours de la dernière décennie n’avait pour but que de compenser les coupes de l’ère Harper. Inverser cette tendance serait une grave erreur. 

En persistant dans cette voie, le gouvernement répéterait les fautes de Jean Chrétien et de Paul Martin : privilégier une austérité extrême sans en mesurer les conséquences. Cette approche s’est révélée désastreuse en 1994, et elle le serait encore plus aujourd’hui. 

La plupart des économies réalisées sous Jean Chrétien provenaient de coupes draconiennes dans des programmes essentiels, comme les soins de santé, le logement et d’autres services sociaux. Les temps d’attente dans les hôpitaux ont atteint des sommets, tout comme les taux d’infection. La suppression totale des aides fédérales consacrées aux logements abordables a provoqué une flambée de l’itinérance. Les Canadiennes et Canadiens subissent encore aujourd’hui les effets de ces coupes historiques. 

Le premier ministre Carney s’apprête à utiliser la même recette éculée. Les ministères fédéraux ont été sommés de réduire leurs budgets de 15 % avant même que le gouvernement n’ait défini ses priorités. Et bien que le gouvernement prétende qu’un réaménagement des effectifs permettra d’économiser l’argent des contribuables, cela se traduira en réalité par davantage de contrats coûteux à des sous-traitants grassement payés et par des compressions dans les programmes et services indispensables à la population canadienne.

Malgré le slogan « sortons les coudes » emprunté à notre sport national, le premier ministre Carney a échappé la rondelle et refuse d’affronter les défis auxquels les gens ordinaires sont confrontés « On dit qu’il n’y a pas d’athées dans les tranchées; il ne devrait pas non plus y avoir de libertarien·nes en temps de crise », a-t-il déclaré durant la campagne électorale. Or, la crise perdure, et il est irresponsable de tourner le dos à la population avec des coupes de type DOGE dans la fonction publique fédérale. Les résultats de ce genre de politique sont déjà visibles aux États-Unis. 

En période de crise, il faut s’inspirer non pas des années 1990, mais plutôt des politiques d’après-guerre du milieu du XXe siècle, qui ont permis au Canada de surmonter d’innombrables difficultés et d’assurer des décennies de prospérité. Les Canadiennes et Canadiens pouvaient alors compter sur une fonction publique forte pour construire des logements, lancer le système de santé publique et mettre en œuvre une stratégie industrielle qui a façonné le Canada moderne. Au lieu de réduire les effectifs pour économiser, le gouvernement fédéral les avait augmentés afin d’offrir des programmes d’un océan à l’autre – tout en créant de nouvelles sources de revenus pour les financer. 

Des solutions simples existent pour accroître les revenus et maîtriser les dépenses de manière équitable et bénéfique pour la population, sans compromettre les services. 

En instaurant un impôt sur la fortune, le Canada suivrait la tendance mondiale consistant à taxer les super-riches. Lors de la campagne fédérale de 2025, le directeur parlementaire du budget a estimé qu’un impôt annuel sur toutes les catégories d’actifs – à l’exception des gains de loterie – pourrait générer plus de 22 milliards de dollars de revenus additionnels par année. Avec un taux initial d’un pour cent sur la valeur nette supérieure à 10 millions de dollars, 98 % des ménages canadiens ne seraient pas touchés. Et compte tenu d’une réduction projetée des dépenses de 21,5 milliards de dollars d’ici 2028, un tel impôt compenserait largement les coupes prévues dans la fonction publique.

Parallèlement, le gouvernement dispose aussi de moyens simples de réduire les coûts. L’un des moyens les plus rapides consiste à diminuer l’empreinte immobilière du gouvernement fédéral et à accorder le droit au télétravail aux travailleuses et travailleurs du secteur public. À l’heure actuelle, le gouvernement gaspille environ deux milliards de dollars par année en espaces de bureaux. Les données démontrent que les fonctionnaires ont été les plus productif·ves au plus fort du télétravail, protégeant la santé et le bien-être de la population durant la pandémie. Une fois encore, une fonction publique solide a permis au pays de traverser la pire crise mondiale depuis des décennies.

Il existe donc des solutions, mais le gouvernement revient à la charge avec une politique d’austérité dont l’échec est pourtant documenté depuis des décennies. Les Canadiennes et les Canadiens ont cru Mark Carney quand il a promis qu’il guiderait le pays à travers la crise tout en le rendant plus fort et plus prospère. Jusqu’à présent, ses gestes sont loin de tenir cette promesse. La population canadienne a besoin d’une fonction publique solide pour se défendre dans la guerre commerciale menée par Trump. C’est en fait ce que « sortons les coudes » devrait vouloir dire.